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Vivre les défis et les joies associés au rôle d’aidant

Getty Images / PeopleImages

Mon père fait pousser de l’excellente rhubarbe, m’aide avec la vaisselle et joue avec le chien, mais il oublie parfois de mettre un pied devant l’autre et tombe de tout son long. Il adore le barbecue et peut s’asseoir au soleil, sourire et parler de politique, jusqu’à ce qu’il décide soudainement de tendre la main et de tâter les briquettes de charbon enflammées pour vérifier si elles sont chaudes. Les bons jours, je retrouve mon père, tandis que les mauvais jours, il se cache sous son édredon pour se protéger du monde.

Parfois il oublie où il est.

Parfois il oublie qui il est.

Parfois il oublie qui je suis.

Un événement traumatisant et un changement dramatique

Ce samedi, Papa aura 95 ans. Il y a à peine trois ans, il pouvait encore conduire et escalader des montagnes, et il travaillait à temps plein à la radio et à la télévision. Depuis, nos deux vies ont dramatiquement changé. 

Papa a fait une grave chute en 2018 alors que nous étions en train de magasiner à Blanchardstown, en banlieue de Dublin. Ce fut un événement traumatisant; il a subi une blessure grave à la tête qui a nécessité une période de rétablissement de plusieurs mois, une longue hospitalisation et une campagne médiatique durant laquelle nous nous sommes battus sur la place publique pour obtenir une trousse de soins afin que je puisse le ramener dans la maison que nous partageons.

C’est avec bonheur, une journée avant son anniversaire, que j’ai pu finalement l’installer dans un fauteuil roulant et l’emmener à la maison. Le coeur débordant d’amour et de joie, je lui ai promis solennellement qu’il pourrait rester à la maison et que je m’occuperais toujours de lui. 

Je n’ai jamais remis en question ni regretté un seul instant ma décision, et la vue de ses yeux bleus qui plissent lorsqu’il se met à sourire est la plus belle récompense que je puisse souhaiter. J’aime mon père et il m’aime lui aussi.

Défendre les intérêts des aidants

Depuis, je tiens un blogue sur notre cheminement, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, je suis journaliste depuis l’âge de 17 ans et j’écris depuis l’âge de 7 ans où couchée sur le dos, je scrutais les nuages en gribouillant des vers dans un cahier. Je ne peux pas vivre sans dresser l’inventaire de mon existence sur papier. Mon père est mon complice à cet égard depuis plusieurs décennies; souvent, il s’est retrouvé devant la caméra et a fait l’objet d’articles de journaux, sa fille le propulsant dans une nouvelle aventure! Il nous a donc semblé naturel que j’écrive sur notre relation.

Mais dans la foulée de mon combat pour ramener mon père à la maison après sa chute, j’ai commencé par la force des choses à me porter à la défense des intérêts des autres aidants. En racontant mon histoire, j’ai réalisé que c’était aussi celle de nombreuses autres personnes et je pense qu’il est important de le souligner.

Je ne prétends certainement pas être « la voix des aidants », mais je peux peut-être joindre la mienne pour témoigner de ce que je vis moi-même maintenant. Parce que nous n’entendons pas beaucoup la voix des aidants. Ils sont trop occupés à donner des soins pour descendre dans la rue et protester; qui s’occupera de leurs êtres chers pendant qu’ils brandissent des pancartes?

Je soupçonne aussi que les aidants hésitent à demander de l’aide de crainte que cela passe pour un manque de loyauté. Du moins, c’est ce que je ressens souvent moi-même. Je ne veux pas laisser tomber l’équipe en suggérant que le fardeau est trop lourd ou que je ne suis pas prête à relever le défi.

Une dure courbe d’apprentissage

Je n’échangerais ma nouvelle vie pour rien au monde, mais un peu de soutien donne un sérieux coup de pouce. Lorsque nous recevons la visite de l’aidant de l’agence, j’en profite habituellement pour refaire le plein d’énergie en allant promener le chien. Une courte pause aide à compenser le manque de sommeil ou toute frayeur ressentie après avoir évité une catastrophe de justesse en raison d’un moment d’inattention.

La nécessité de demeurer éveillée et alertée en tout temps a été un choc pour mon système lorsque j’ai entrepris ce nouveau chapitre de ma vie avec mon père. Dans le passé, je croyais comprendre ce que voulait dire prendre soin de quelqu’un en tout temps lorsque j’interviewais des aidants dans le cadre de reportages. 

Je réalise maintenant que ce n’était pas le cas.

Même en faisant preuve d’une grande empathie et de beaucoup d’imagination, vous ne pouvez pas comprendre tant que vous n’avez pas vous-même vécu cette situation.

Lorsque je dis « en tout temps », c’est littéralement le cas. Des choses simples que l’on tient pour acquises, comme aller aux toilettes seule, ne sont même plus envisageables. Il faut soit garder la porte ouverte et tendre l’oreille à l’affût de tout problème ou accepter d’avoir de la compagnie!

Comme je suis aidante depuis peu, j’ai été confrontée à une dure courbe d’apprentissage. Je croyais au début que l’épreuve la plus difficile serait de donner des soins personnels à mon père, mais il s’avère que changer ses couches, le laver et l’habiller sont les choses auxquelles je me suis le plus facilement habituée.

La dimension émotionnelle a été plus difficile à apprivoiser. J’ai dû apprendre à anticiper ses changements d’humeur et à composer avec la démence. J’ai dû aussi apprendre à apaiser mon père et à gérer mes propres émotions et ma détresse. Je n’y arrive pas toujours parfaitement, et dans ce temps-là je dois faire face à mon sentiment de culpabilité.

Parfois, Papa a des épisodes d’agoraphobie et fait un transfert sur moi. Quand ça arrive, il ne me laisse pas quitter la maison – pas même pour étendre le linge dehors. Les journées plus pénibles comme celles-là, je me sens coincée et frustrée, ce qui me fait sentir coupable. J’aimerais qu’il soit toujours heureux, mais il est souvent triste à cause de sa maladie. Ces journées-là aussi je me sens coupable.

Je me sens souvent totalement incompétente.

La technologie à la rescousse et le meilleur ami de l’homme

Ce n’est qu’après plusieurs semaines que j’ai appris qu’il existe des alarmes sensibles à la pression pour me réveiller si Papa sort du lit, des alarmes de proximité pour m’avertir s’il se dirige vers une porte ou un escalier et des caméras pour le surveiller dans sa chambre lorsque je ne suis pas dans la pièce. Avant ça, je dormais sur une chaise à côté de son lit pour m’assurer qu’il ne bouge pas, car j’étais terrifiée à la perspective qu’une autre chute mette définitivement fin à notre aventure.

La technologie m’a donc été d’une grande utilité de même que notre chienne. Nous l’appelons #GoogleDog parce qu’elle peut « chercher et trouver ». Nous avons adopté Google dans un refuge il y a quatre ans pour tenir compagnie à Papa pendant que je travaillais encore à temps plein à la station de radio locale. Je m’étais rendue au refuge avec l’intention de me procurer un Jack Russell, puis j’en suis ressortie avec un berger allemand. 

Nous pensions la sauver, mais je pense que c’est plutôt elle qui nous a sauvés. Quelle que soit son humeur, Papa peut toujours converser avec Google, et celle-ci le comprend toujours. Elle m’aide aussi en sautant sur mon lit lorsque Papa devient agité au milieu de la nuit. Elle nous procure à tous les deux beaucoup de joie.

La joie que me procure le rôle d’aidant

Il est facile de ne pas réussir à exprimer toute la joie que procure cette aventure. Il est difficile de parler des difficultés vécues tout en expliquant que votre coeur déborde néanmoins de joie parce que vous vous sentez privilégié(e) de pouvoir prendre soin d’une personne que vous aimez. C’est un choix. Nous choisissons de prendre soin de quelqu’un, nous aimons le faire, et nous ne voudrions pas qu’il en soit autrement. Mais bénéficier d’un peu de soutien réduit le stress, la charge de travail et l’épuisement, et permet à la fille que je suis de se détendre et de profiter du sourire qui anime le regard bleu de son père. Cela me permet de remarquer que mon père est heureux, ce qui est pour moi la chose la plus importante au monde.

Au début du confinement en raison de la pandémie de COVID-19, Papa et moi avons planté des plants de tomates cerises dans notre serre. La première petite tomate est devenue rouge écarlate hier, et plusieurs autres commencent à rosir. Je me suis demandé combien de jours il faudrait attendre avant de pouvoir manger un bol de tomates bien mûres.

C’est alors que Papa a tendu la main devant moi et détaché le fruit écarlate de sa tige délicate pour le glisser promptement dans sa bouche. « C’est bon », a-t-il murmuré. Des gouttes de jus se sont échappées de sa lèvre inférieure et ont coulé le long de son menton, tandis que son visage aux yeux bleus pétillants s’éclairait d’un sourire. 

Voilà pourquoi je prends soin de lui.

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